8 Juin 2015
On ne compte plus les définitions, notes de position et autres articles sur la matérialité. Nous reviendrons sur les différentes acceptions et ce qu’elles sous-tendent, mais pour en faciliter la compréhension, l’exemple est souvent parlant. Ce sera la matérialité appliquée au secteur automobile. Si le sujet de la matérialité s'efface actuellement au profit du reporting intégré, il n'en reste pas moins premier. Parlons matérialité...
Il ne s’agit pas d’être exhaustif, mais illustratif. Vous trouverez en pièce jointe un document (PDF en anglais) faisant la synthèse du questionnement sur un des 8 enjeux du secteur automobile. Je vous recommande de l'avoir en main pour poursuivre la lecture.
8 ? En matière d’environnement : le changement climatique, l’air, les déchets, les matériaux et le recyclage. En matière sociale : le dialogue social, la santé et sécurité. En matière sociétale : la relation avec les fournisseurs, la sécurité des produits. Pour cet exemple, nous ne développons qu’un enjeu : le changement climatique, ou encore les émissions CO2 ou l’atténuation du changement climatique. Cette sélection résulte d'une analyse approfondie réalisée avec des analystes financiers.
Ce ne peut être les 42 thèmes de l’article 225, les 90 de la GRI ou les 37 domaines d’action de l’ISO 26000. Parler de matérialité, c’est d'abord hiérarchiser, prioriser. Cela veut dire être capable de définir des critères et des seuils de matérialité.
Dans notre exemple, nous développons, illustrons par des questions un des 8 enjeux clés du secteur automobile. Selon notre méthodologie, il convient de distinguer ce qui est stratégique, ce qui relève des exigences opérationnelles et de la philanthropie. Si tout est important, rien ne l’est ! Et on ne peut pas être « bon partout ». Pour un secteur donné, c'est en général 6 à 8 enjeux réellement matériel.
La première exigence de la matérialité, c’est d’avoir une visibilité des critères clés, forcément en nombre limité.
En effet, en prenant l’exemple du secteur automotive, on imagine aisément les différences qui existent, en termes d'enjeux, entre les sous-secteurs automobile, composants/équipementiers, pneus, véhicules industriels/camions. Le PRK (prix de revient kilométrique) par exemple, intégrant les contraintes règlementaires CO2, est un critère dominant dans le secteur poids lourds. Par ailleurs, et en toute logique, une entreprise exerçant sur plusieurs activités devrait refléter ces différences dans son reporting. L'enjeu est le plus souvent subsectoriel et la demande des acteurs économiques est la comparabilité entre les entreprises.
La matérialité s’analyse au niveau du sous-secteur (ex. ICB, GICS, NAF en France, NACE en Europe). Son corolaire est la comparabilité.
Dans le cas que nous prenons en exemple : le changement climatique, on peut citer les effets sur l’environnement et la santé (événements climatiques extrêmes, montée des eaux, etc.) — la ou plutôt les régulations (limites émissions de CO2, bonus/malus, prime à la casse, etc.) — les critères de choix des clients (relation entre consommations des véhicules, prix d’utilisation et CO2). Ces trois critères peuvent agir de manière différenciée et simultanée selon les marchés.
Matérialité et contextualisation sont indissociables.
Le concept même du développement durable intègre « les générations futures ». Les mégatrends (urbanisation, vieillissement, raréfaction des ressources, etc.) affectent tous les secteurs d’activités, de même que les évolutions sociologiques et technologiques. Enfin de grands investisseurs avisés — voir les déclarations récentes de grands investisseurs, le PDG de Blackrock (Larry Fink Letter to CEOs) ou Warren Buffet (Shareholder letter 2014) — s’inquiètent du court-termisme des entreprises et de leurs CEOs (Chief Executive Officer) ou misent sur le long terme.
Dans notre exemple, les constructeurs automobiles peuvent-ils rester à l’écart des nouvelles formes de mobilité ? Ou prendront-ils le train plus tard, forcément avec des investissements plus élevés ? Seront-ils totalement absents de ces nouveaux marchés ? S’il est difficile d’en prédire l’ampleur, les constructeurs ne peuvent être étrangers à ces nouvelles créations de valeurs autour de l’automobile et du transport. BlaBlaCar (autopartage), Drivy (location de voitures entre particuliers) sont en phase d’investissement pour prendre les premières places. De très puissants et nouveaux entrants, Apple ou encore Google s’intéressent à la voiture sans chauffeur. Attention cependant, notre exemple montre que l’essentiel du chiffre d’affaires se réalise selon les modèles économiques actuels, mais quelle est la prise en compte des germes de changement ?
La matérialité ne peut être que rétrospective et ignorer le futur. Elle s'analyse sur le court, le moyen et le long terme.
Sa première définition émane de la SEC (US Securities and Exchange Commission). Si l’on voulait le résumer : les impacts sur la rentabilité de l’entreprise et son patrimoine.
Dans notre exemple, plusieurs données économiques permettent de comprendre l’enjeu CO2. Le niveau d'exposition aux marchés régulés, le montant des pénalités encourues, les efforts de R&D pour préparer l’avenir, le chiffre d’affaires sur les modèles les plus vertueux ou encore des nouveaux modèles économiques, etc.
La matérialité requiert une quantification, à la fois du contexte, des actions entreprises et des résultats.
Le concept de matérialité est souvent critiqué par sa vision économique et « corporate centric », qui oublierait "les externalités négatives". Cette idée ne tient pas dans le temps.
Dans notre exemple, ce qui était un phénomène scientifique observé par Joseph Fourier en 1824 est devenu un sujet politique avec le GIEC en 1990 (Intergovernemental Panel on Climate Change), puis un sujet de régulation, puis une sujet technologique et socio-économique. Et potentiellement ou demain une question de survie pour l’humanité... Si l’absence de matérialité à court terme produit excès, dérives et accidents, une simple observation de l’histoire montre que les limites finissent toujours par être encadrées par des règlementations contraignantes, des pressions de la société civile, et au final de la destruction de valeur, voir des disparitions d’entreprises…
L’absence de matérialité à court terme ne doit pas aboutir à une sous-estimation des risques (et opportunités).
Voila pour nos premiers « key findings » sur la matérialité. Un sujet sur lequel nous reviendrons largement, notamment en poursuivant cet article « La matérialité, par l’exemple : le secteur automobile. ». Mais aussi avec des définitions, des exemples d'autres secteurs.
© Philippe Cornet | 8 juin 2015 | Tous droits réservés | Toute reproduction intégrale ou partielle de cet article et des documents associés doit faire l'objet d'une autorisation préalable de l’auteur. Toute citation ou utilisation de données doit s'effectuer avec l'indication de la source.
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