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Performance Intégrée I Performance Extra-Financière I Management des risques et opportunités I ESG I RSE

Durabilité-ESG. Propos iconoclastes. Faut-il sauver la CSRD ? Idées reçues 4 à 6.

De l'obligation à l'intégration

De l'obligation à l'intégration

Cette série d‘articles « idées reçues » prend son origine dans la mise en œuvre de la CSRD et les débats qu’elle suscite. Ce n’est pas à un omnibus de rythmer nos vies. C’est à notre vision des affaires, du monde et notre pratique professionnelle.

Est-il utile de vous redire mon attachement à la finalité des lois et normes en matière d’ESG ou à l’’importance de l’éthique des affaires ? Je vous invite à lire ou relire au besoin le premier volet « idées reçues 1 à 3 ». A nouveau, ne confondons pas collectivement le moyen (le reporting) et sa finalité.

Par ailleurs, mes origines paysannes ont fortement contribué à mon ancrage dans le réel, à développer une vision pragmatique. Mon expérience de l’entreprise m’a amené à focaliser sur les dynamiques managériales, à rechercher l’efficacité. Je ne développe pas une vision fantasmée de la « RSE », ni une vision marketée faite d’impact et de régénératif. La réalité des entreprises est exigeante. La conformité seule ne saurait être un driver de l’action.

Je vous partage en conscience et avec l’humilité du soutier 3 nouvelles « idées reçues ».

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Idée reçue n°4. Il y a deux performances : la performance financière et la performance ESG

Quel raccourci ! La performance globale, la performance plurielle, l’integrated thinking ne se limitent pas à ces deux dimensions de la performance. Là encore, on enferme les esprits.

La performance opérationnelle, c’est ce pourquoi se lèvent tous les matins l’essentiel du capital humain d’une entreprise. C’est fabriquer des produits et services, les concevoir, les distribuer. C’est disposer d’un outil de production performant, utilisé au maximum de ses capacités, c’est avoir une/des marques puissant(es), des produits de qualité, des clients satisfaits qui reviennent, qui vous recommandent. C’est la capacité à innover. C’est développer une vision stratégique. C’est là le cœur vivant de la performance. Un tableau de bord stratégique devrait considérer ces trois performances : opérationnelle, financière et non financière. People, Planet, Profit est par trop réducteur.

Je raconte à l’envi cette anecdote lorsque j’étais analyste extra-financier du secteur auto. Je disposais des évaluations des agences de notation extrafinancière. L’une d’entre-elles affirmait « Human Ressources, best performer Europe PSA » tandis que l’analyste financier du secteur auto, qui était assis presque en face de moi, me disait « PSA s’apprête à fermer Aulnay ». 3300 employés en 2012. L’analyse extrafinancière telle qu’elle est conçue prend le risque de ne regarder que partiellement la performance, y compris ESG. Nous reviendrons sur ce point en particulier dans une idée reçue.

Impossible en effet d’évaluer la performance d’un constructeur automobile - secteur dans lequel j’ai travaillé pendant 15 ans - sans disposer du taux d’utilisation de ses capacités industrielles ou de son indicateur IMVP du Harbour report (Olivier Wyman), de son niveau de stocks, de son plan de renouvellement des marques, de la perception et de la puissance de ses marques, de sa capacité d’innovation, de sa vision prospective, voire de sa gouvernance (cf. Renault-Nissan et Stellantis). La performance durable ne se mesure pas uniquement à l’aune de critères financiers, de rentabilité ou de critères ESG.

Vous dites tous les matins à vos salariés : « Vous être là pour ramener du cash aux actionnaires », ou « Vous êtes là pour faire de bons produits » ? « Pour avoir des clients satisfaits » ? La finance est un moyen et un résultat. Pas une fin en soi isolée.

La notion de performance telle qu’elle est souvent véhiculée est à la fois réductrice et contreproductive pour les dynamiques managériales, l’engagement de chacun.

Dans le guide de La Coopération Agricole « Le rapport de durabilité, de la conformité au pilotage de la performance » en collaboration avec le cabinet ULIMI, nous développons une vision plurielle-globale de la performance et de son pilotage, l’intégration dans les budgets et reprévisions, dans les investissements, dans les calculs de prix de revient, les achats, etc. Le pilotage intégré, ce n’est pas un rapport intégré au début du rapport annuel…

>> Dans le guide, voir le chapitre V « Vers un pilotage intégré de la performance » pages 66 à 71.

Un dernier point, sur l’intégration. Les auditeurs, lors de la vérification des rapports de durabilité (états de durabilité), ne devraient-ils pas s’assurer de la cohérence entre les objectifs business (généralement, avec une hausse des ventes, du CA, etc.) et les objectifs ESG (généralement avec une baisse des impacts négatifs) ? Cela est-il fait sérieusement ? Alors déconnecté ou non ?

Proposition n°4 : En finir, avec les stratégies ESG « totalement ou partiellement déconnectée » des affaires, et aller vers une stratégie intégrée avec un volet ESG. Utiliser la DMA comme input du processus stratégique, de manière synchronisée. Mettre en œuvre des tableaux de bord intégré (opérationnel, financier et ESG) et le pilotage associé.

La CSRD « connecte », elle devrait intégrer. Il est temps de repenser notre approche de la performance et de son pilotage avec une approche globale.

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Idée reçue n°5. Il est essentiel de disposer d’un niveau d’information détaillé sur les questions ESG pour s’assurer de leur effectivité et de leur crédibilité.

Ne confond-on pas quantité et qualité ? Depuis une quinzaine d'années, j’ai lu et analysé des centaines de documents de référence puis de documents d’enregistrements universels (DEU). Pas de manière détaillée, compte tenu du volume des documents.

Je suis surpris du décalage qui existe, en termes de niveau de détail attendu par les réglementations, sur les différentes parties de ces rapports.

Un précision de vocabulaire avant d’aller plus loin. Le terme « risques » dans la suite de l’article est utilisé tant pour la matérialité pour l’entreprise (risques et opportunités financiers, opérationnels, réputationnels, règlementaires et juridiques) que pour la matérialité sociétale et l’environnementale (risques et opportunités pour les tiers, les personnes et l’environnement).

Pour le niveau de détail, c’est le cas notamment sur le chapitre « facteurs de risques » et les mesures de prévention et de protection associés.

Pourquoi les risques ne sont-ils pas chiffrés dans le chapitre facteurs de risques ? (cf. recommandation sur les facteurs de risques de l’AMF), ce alors que c’est une exigence de la CSRD ?

Pourquoi ce niveau de détail des IROs dans la CSRD ? Ce alors que l’ESMA recommande la synthèse et un nombre de risque maximum ? (cf. orientations sur les facteurs de risques dans le cadre du règlement prospectus de l’ESMA, 2019). Comment lire, comprendre et analyser le risque net d’un coté et risque brut de l’autre ? Nous reviendrons sur ce point en particulier dans une idée reçue dédiée.

Pourquoi n’a-t-on pas de plans détaillés sur chacun des risques « MDR-P, MDR-A, MDR-T et MDR-M » sur l’ensemble des risques ?

La cohérence, la complémentarité, le niveau de détail des parties devraient être assurés. Ce n’est pas le cas.

Ce bien sûr, en respect du secret des affaires. La transparence ne doit pas conduire à la fragilisation des entreprises et à leur surexposition aux leurs concurrents. En revanche, elle doit permettre l’évaluation globale de la performance.

De la même manière, les exigences de reporting sur les différentes réglementations ESG ne devraient-elle pas s’intégrer soit dans le rapport de durabilité, soit dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise plutôt que d’être considérée indépendamment les unes des autres.

Proposition n°5 : S’assurer de l’équilibre des parties du DEU, du niveau de synthèse, de la cohérence et la complémentarité des parties. Intégrer les évolutions réglementaires au sein d’un même corpus de durabilité, avec une cohérence de méthode.

On empile, on empile, on « infobèse ». La quantité d’information n’est pas un critère, ce qui compte, c’est la qualité de l’information, sa pertinence. Vive la concision !

N.B. Je n’évoque pas le cas particulier des non-cotées qui ne rendent pas public leurs rapports de gestion ni leurs rapports financiers.

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Idée reçue n°6. La consultation, lors de l’élaboration des lois et normes, est une garantie de la qualité et de l’efficacité de celles-ci.

S’agissant de la CSRD et des ESRS : Qui a le temps ? Qui a les moyens de participer à leur élaboration ? Qui a intérêt (financier et autres intérêts) à en être acteur ? Qui a les moyens de ne pas être rémunéré pour un travail fourni ? ; la participation aux travaux de l’EFRAG étant bénévole. Les organisations professionnelles, les grands cabinets, les investisseurs. Dans les faits peu d’émetteurs, et peu d’émetteurs expérimentés, ils n’en ont pas le temps.

Les normes sont-elles conçues pour être simples et comprises ? Ou ne sont-elles pas l’addition des volontés de ce que chacun des participants aimerait ? Ne sont-elles pas un absolu ou repose-telle sur un certain pragmatisme ? Le mieux est l’ennemi du bien…

Les normes sont-elles conçues en termes de conduite du changement ? De charge de travail ? De transition pour passer d’un état à un autre. Pas vraiment. Il est par exemple invraisemblable de ne pas disposer d’un texte solide et stable au moins deux ans avant sa date d’application.

Les normes sont-elles pensées en termes d’efficacité, d’impact sur les résultats sur les transitions ? Pourquoi autant de qualitatif ? C’est le même biais que dans les labels et autres évaluations. Ce qui compte c’est le résultat, les objectifs, la trajectoire et les moyens pour y parvenir. Le niveau de détail des informations qualitatives (2/3 des datapoints) n’est en aucun cas garant de la performance. Surtout lorsque qu’on la regarde rétrospectivement sur un an (n et n-1) contre deux pour la performance financière.

Les normes tiennent-elle compte de l’existant ? Ou repartent-t-elles d’une feuille blanche ? Sidérant de voir que GRI (qui a 25 ans d’ancienneté) ou ISSB-SASB (qui ont nécessité 6 ans de travail et ont été publiées en 2018) ne servent pas de socle. Ce pour faire, a posteriori, un travail de correspondance.

Les normes financières ont nécessité des années, avec un travail en continu, des systèmes d’information puissants, des ressources considérables. Vouloir faire en un an le travail d’une cinquante année est-il adapté ?

Qui aujourd’hui maitrise le texte et sa profondeur ?  Qui a les moyens de comprendre et de s’approprier 100 pages de lois ? 300 pages de normes ? 3 « guidances » ? Des centaines de Q&A ? Seul les grands cabinets d’audit et de conseils sont en mesure de digérer de tels volumes, créant une situation de dépendance, y compris du régulateur.

Proposition n°6 : Appliquer le principe de concision à la norme en pensant son impact sur le résultat attendu : la performance ESG et les transitions. A l’instar de ce qui a été fait pour VSME, tester les normes auprès des émetteurs. Capitaliser, autant que faire se peut sur les normes préexistantes, sans renoncer à les améliorer.

Pertinence et concision, cela s’applique tant au reporting extrafinancier qu’aux lois et normes qui les encadrent.

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Je terminerai à nouveau par deux citations :

« Toute chose ressemble à un clou, pour celui qui ne possède qu'un marteau », [Abraham Maslow]. La pluridisciplinarité (Finance, ESG, opérations), la vision à la fois du temps court, du moyen et long terme,  la conscience de l’importance de l’écosystème d’affaires et de la qualité des relations, voila qui devrait être au cœur de pratiques managériales renouvelées.

« La société se caractérisera par une surabondance d'informations. Le défi sera de ne pas confondre l'accessoire et l'essentiel. » [Aurélie Royet-Gounin] Diplomate. Parce que, s’agissant de reporting, pertinence et concision devraient être au cœur de l’élaboration des normes et des lois.

A très vite pour d’autres idées reçues !

Ph2C] Philippe Cornet Conseil © publié le 20 février 2025 à 16h10 I Tous droits réservés.

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