14 Novembre 2019
Le caractère interprétable des lois amène l’AMF à faire régulièrement des recommandations pour les sociétés cotées. Pour la « RSE », elle publie tous les 3 ans depuis 2013 (1) une étude sur la mise en œuvre du cadre règlementaire, impacté en 2019 par la transposition de la directive sur le reporting extrafinancier, en droit français la DPEF (Déclaration de Performance Extrafinancière). Cette édition était particulièrement attendue tant la loi a suscité une variété d’interprétations et de mises en œuvre…Que retenir de cette 3ème édition ?
De la clarté et de la compréhensibilité de la réponse en terme « compliance » (enjeu n°1 du rapport) … et de la multiplicité des réglementations extrafinancières applicables… (enjeu n°3)
La pratique de la table de correspondance à la loi et de renvois clairs est recommandée par l’AMF.
Ce, a fortiori, dès lors que le chapitre « extrafinancier » du Document de Référence (Document d’Enregistrement Universel (DEU) à compter de juillet 2019) est utilisé pour répondre à 3 réglementations : DPEF, Sapin II (fraude et corruption) et Devoir de Vigilance.
Souhaitons que ce constat amène à clarifier et simplifier cet enchevêtrement de lois, alors même qu’elles poursuivent toutes la même logique : risques > politiques > plan d’actions > résultats et portent toutes sur des questions « ESG », ou extrafinancières.
A fortiori aussi dès lors que la stratégie ou le business model ne relèvent pas strictement du domaine extrafinancier et que leurs présentations dans les « docs. de réf.’ » les positionnent naturellement en introduction.
Souhaitons que ce constat amène à revoir réglementairement, ou par des recommandations, l’organisation des chapitres et la table des matières des DEU...
De la matérialité à la concision… (enjeu n°2 et 3 du rapport)
Ce qui n’est pas « matériel », ce qui n’est donc pas identifié comme risque principal, ne devrait pas figurer dans la DPEF. L’AMF invite à publier ces informations dans d’autres supports ou à identifier clairement ce qui relève de la DPEF.
Cela pourrait amener à mieux distinguer les risques principaux des autres risques et engagements volontaires, tant les entreprises sont frileuses à ne pas s’exprimer sur certains sujets, même s’ils ne sont pas matériels.
Rappelons ce qu’est un risque selon l’AMF « Le risque représente la possibilité qu’un événement survienne et dont les conséquences seraient susceptibles d’affecter les personnes, les actifs, l’environnement, les objectifs de la société ou sa réputation. » (Extrait de : Les dispositifs de gestion des risques et de contrôle interne - Cadre de référence, juillet 2010)
De la prise en compte de la sphère d’influence (enjeu n°4)
Le périmètre, les variations de périmètre sont à nouveau reprécisés. Il s’agit bien du périmètre consolidé. Mais l’AMF étend le périmètre à la sphère d’influence et la chaine de valeur ! Extrait du rapport : (prise en compte de joint-ventures, réseau de franchisés, chaine de sous-traitance …).
Dans l’esprit de la loi, les taux de couverture du périmètre consolidé devraient figurer…A nouveau télescopage avec la loi sur le devoir de vigilance sur la chaine de sous-traitance - c’est l’esprit de la loi sur le devoir de vigilance - mais extension de la responsabilité sur la sphère d’influence… On ne peut nier l’influence d’une entreprise sur son réseau de franchisés, ou sur le propriétaire des locaux qu’elle loue…
De l’importance de la « note méthodo » (enjeu n°5)
Point n’est besoin de s’étendre sur ce sujet. Un indicateur ne se comprend que par sa définition, son historique, son périmètre, son objectif, ses limites méthodologiques (et l’explication de ses variations).
Des référentiels utilisés (enjeu n°6 du rapport de l’AMF)
Préciser les référentiels (de reporting, d’engagement, etc.) utilisés est rappelé par l’AMF, mais l’AMF insiste sur la réalité de leurs usages.
Pour la GRI devrait figurer par exemple : Conformité essentielle (Core) : Conformité étendue (Comprehensive) ou Déclaration faisant référence à GRI (Cf. French GRI-101 Principes Généraux - page 21 et 22).
Et pour les ODD extrait : « illustrer et détailler leur engagement (…) de la réalité des politiques entreprises en faveur des Objectifs de Développement Durable de l’ONU. »
L’AMF invite… à la rigueur…
Du business model (enjeu n°7)
L’AMF rappelle que la présentation du business model reste libre, mais qu’une représentation schématique s’avère utile.
Oui. Important de le rappeler. Mais sous réserve qu’elle fasse sens et ne donne pas une vision simpliste de la réalité…
L’AMF invite aussi à préciser l’environnement commercial… Et les mégatrends ou hypertendances qui affecteraient les affaires à moyen et long terme.
Difficile en effet de comprendre une entreprise sans l’appréhender de manière concurrentielle. Et dans le temps, sur le long terme, les "mégatrends" en utilisant les travaux de référence. (ex. Roland Berger Compendium 2030, scénarii du GIEC, etc.)
Des risques principaux et du processus associé (enjeu n°8)
L’AMF insiste sur le processus d’identification et sur ce qui a motivé le choix des dits risques. C’est donc à l’entreprise et, à elle seule, de définir ce qu’est un risque pour elle, d’identifier ses risques principaux et d’expliquer la méthode retenue.
Si une entreprise se fixe un objectif important (les objectifs de la société), elle a le droit de considérer qu’être en écart avec cet objectif serait un risque. Sous réserve d’une méthode rigoureuse et transversale à l’ensemble des risques.
Autre cas de figure. Un risque n’est jamais mentionné explicitement. Aujourd’hui les entreprises publient leurs données d’effectifs et tous les OTI (Organisme Tiers Indépendant) contrôlent les effectifs dans le cadre de la DPEF. Mais aucune ne fait référence au risque de productivité, de compétitivité…
Sur les risques, il serait souhaitable que l’ensemble des risques fasse l’objet de la même rigueur réglementaire : risques liés à la stratégie, risques liés aux opérations, risques de gouvernance, etc. avec la même logique de traitement > risques > politiques > plans d’action > résultats…
Pour les entreprises, la définition du risque devrait être précisé (voir ci-dessus celle de l'AMF). C’est un préalable qui conditionne la sélection et documente le processus.
Des objectifs et de leur mesure (enjeu n°9)
L’AMF rappelle la nécessité de disposer d’objectifs clairs et d’un nombre limité d’indicateurs, dans un objectif de concision et d’assurer un suivi dans le temps de ces indicateurs. Puis logiquement de mettre en place des politiques et plans d’action adéquats. C’est bien la logique risque > politique / plans d’action > résultats.
Ne pas avoir d’objectif chiffré sur un risque clé amène à se poser des questions sur la crédibilité de l'engagement. Attention pour autant à avoir des approches réductrices ou binaires. Si certains sujets sont aisément mesurables avec un indicateur clé de performance d’autre se mesurent avec plusieurs indicateurs KPIs (Key Performance Indicators), d’autres se mesurent avec des indicateurs de moyens.
Quelques exemples
Peut-on dissocier scope 1, 2, 3 en, matière de GES et indicateur absolu (volume) et relatif (intensité) ? Et le CDP c’est plus de 80 items à documenter…
La formation se mesure en indicateur de moyens, de flux (nombre d’heures), pas en indicateur de performance (j’ai un corps social compétent), ni en indicateur de stock (j’ai tant de cap/bep, bac, bts, master, etc. et ils ont stocké dans l’entreprise tant d’heures / de jour de formation en moyenne). Attention aux poncifs et aux raccourcis.
Enfin, il est nécessaire de disposer d’un nombre significatif d’indicateurs de profil ou de contexte pour comprendre la performance.
Par ailleurs, changer d’indicateurs peut répondre à un objectif de précision ou de pertinence. Il peut aussi … détourner l’attention.
Limiter le nombre d’indicateurs oui, mais surtout et avant tout donner du sens, donner à comprendre la réalité de la performance.
De la cohérence (enjeu n°10)
L’AMF rappelle que la nécessité de la cohérence d’ensemble et du lien entre business model et risques, risques et politiques/plans d’action, puis avec les objectifs et les résultats.
Et de rappeler aussi que les entreprises ont le droit de progresser, de démarrer… Ce que l’OTI pourra accepter et signaler. Extrait « les organismes tiers indépendants peuvent indiquer ce qui relève soit d’un problème ponctuel (lié à la production d’un premier reporting extrafinancier par exemple), soit d’un problème plus structurel. »
Epilogue...
Le temps a passé depuis la loi NRE (Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques). Plus de 18 ans… Déjà l’esprit de la loi, c’était la pertinence des questions extrafinancières dans leur capacité à créer ou détruire de la valeur pour l’actionnaire. Les constats de l’AMF peuvent amener à considérer que la maturité est faible à moyenne. Ils peuvent aussi amener à s’engager plus encore, non pour un meilleur reporting mais pour une meilleure maitrise des risques extrafinanciers. Ce dont la planète a besoin c’est de résultat. Ce dont les femmes et les hommes ont besoin ce sont de résultats.
© Ph2C [Philippe Cornet Conseil] | jeudi 14 novembre 2019 | Tous droits réservés | Toute reproduction intégrale ou partielle de cet article et des documents associés doit faire l'objet d'une autorisation préalable de l’auteur. Toute citation ou utilisation de données doit s'effectuer avec l'indication de la source.
(1) Les 3 études de l’AMF
Rapport 2016 sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale, en novembre 2016
Rapport 2013 sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale, en novembre 2013
AMF. Rapport sur la RSE pour les sociétés cotées, édition 2019. Le PDF