30 Avril 2015
De nombreuses parties prenantes affirment un besoin de transparence de la part des autres acteurs économiques. ONG, syndicats de salariés, salariés eux-mêmes, autorités administratives, collectivités territoriales, etc. Parmi elles, l’investisseur, l’actionnaire, ce vis-à-vis de l’entreprise. Premier opus d’une série consacrée à « l’investisseur », sa pratique d’investissement et la place des critères sociaux, environnementaux et sociétaux dans ses investissements. Des éléments pour fixer et comprendre le cadre.
« Les investisseurs », un terme « ombrelle » pour recouvrir une réalité on ne peut plus complexe… On distingue l’Asset Owner (le propriétaire) de l’Asset Manager (le gestionnaire).
L’investissement s’opère de manière visible (bourses, marchés obligataires), moins visible (private equity) ou invisible (shadow banking).
Il est réalisé sur des horizons de temps variables : THF (trading haute fréquence), à court terme (selon le « potentiel d’upside » de 1 à 3 mois) ou à moyen terme (durées de conservation variables en portefeuilles). L’investissement est fait avec une implication dans l’entreprise (participation au conseil d’administration, exercice des droits de vote, action auprès du management exécutif) ou sans.
Il est impacté par des facteurs socio-culturels : un investisseur anglo-saxon est très sensible au sujet de gouvernance (ou au bien-être animal…), un scandinave aux questions d’éthique, un allemand à l’environnement, un français au social.
Le capital disponible est étroitement dépendant du modèle ou de choix de société. La retraite par capitalisation fait des fonds de pension un acteur majeur des flux de capitaux mondiaux. À l’inverse, un système par répartition est « pauvre » en capital. N’y voyez pas un jugement de valeur, simplement un constat. Vous trouvez selon les pays différents spécificités : un secteur épargne salariale très dynamique en France, des universités nord-américaines disposant de fonds conséquents. Il est aussi massivement impacté par les richesses en matières premières des pays qui génèrent des mégafonds souverains issus de leur exploitation (e.g. le fond souverain norvégien).
Bref, parler des investisseurs, c’est regrouper sous un terme chapeau une très très très très grande hétérogénéité.
Sur ses méthodes, l'investisseur est par nature secret : il ne donne pas sa recette. Il s‘appuie sur un ensemble d’intermédiaires et prestataires de services : le courtier (e.g Kepler Cheuvreux), l’agence d’information financière et extrafinancière (e.g. Bloomberg), l’agence de notation financière (e.g. Standard & Poor’s), l’agence de notation extrafinancière (e.g. Oekom), l’analyste financier, etc.
Voilà pour fixer de manière relativement brève, simplifiée et forcément incomplète le cadre.
Les investisseurs ont de réelles attentes en matière d’information extrafinancière.
Si l’on voulait résumer, on distingue plusieurs pratiques d’investissement qui nécessitent une information extrafinancière. L’intégration ESG vise à faire prendre en compte, pour les investissements réalisés, les facteurs les plus « matériels », ceux qui ont une incidence mesurable sur la rentabilité, la valorisation. En général 8 à 10 critères environnementaux, sociaux ou sociétaux, fortement sectorisés, liés aussi aux caractéristiques de l’entreprise, à son projet et sa stratégie (PDM environ 15 % en France). L’approche multifactorielle ISR (Investissement Socialement Responsable) comprend quant à elle jusqu’à 80 critères et ne concerne qu’une part limitée des investissements (PDM environ 5 % en France). On distingue enfin les exclusions sectorielles ou normatives et enfin l’engagement actionnarial. Vous pouvez sur ce sujet consulter les excellentes études de Novéthic.
Les investisseurs communiquent aujourd’hui de manière plus explicite sur leurs méthodes de sélection de valeur, à l’instar de Sycomore Asset Management qui précise son modèle d’analyse ESG. Vous pouvez aussi consulter la démarche RSE de BNP Paribas Investment Partners ou encore les engagements d’AMUNDI Asset management, ces deux acteurs étant les plus importants en termes d’actifs gérés en France. C’est une obligation depuis le Grenelle II et l’article 224 du Code monétaire et financier. « Les sociétés de gestion doivent présenter l'information relative à la prise en compte des critères sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance dans leur politique d'investissement, ainsi que les supports sur lesquels cette information doit figurer. »
En septembre 2011, alors analyste extrafinancier chez Crédit Agricole Cheuvreux, j’éprouvais la plus grande difficulté à trouver et collecter les bonnes informations, ce pour les analyser. J’ai alors réalisé pour les entreprises un guide « Disclosing your ESG footprint > Taking a step towards meeting investor expectations », un guide qui a eu sa déclinaison pour le marché asiatique avec la filiale CLSA « CLSA ESG Footprint guide, Weighing up Returns ». Le guide pour le marché européen est en pièce jointe, avec l'aimable autorisation de Stéphane Voisin de Kepler Cheuvreux. La majeure partie des recommandations du guide restent valides.
Sur l'information extrafinancière des entreprises, les études montrent de manière récurrente que les attentes des investisseurs ne sont pas satisfaites.
Trop d’informations. Difficultés à capter ce qui est « matériel » pertinent de ce qui ne l’est pas. Les conclusions de l’étude réalisée en 2013 par EuroSIF et ACCA intitulée «What do investors expect from non-financial reporting?» restent hélas d’actualité. À la question «Current levels of non-financial disclosure are adequate » 10 % des répondants «strongly disagree» et 60 % «disagree».
Certes, la situation s’améliore. Lentement. Mais la matérialité, cœur même du besoin des investisseurs est encore trop peu prise en compte.
Cette insatisfaction donne lieu aujourd’hui à un foisonnement d'initiatives, émanant de l’écosystème financier ou de collectifs d’investisseurs, ce pour formuler leurs pratiques et attentes. L’une des plus récentes vient de CERES « An Investor Handbook for Water Risk Integration » publié en mars 2015. On peut aussi citer l’IIRC (Reporting Intégré) ou encore le SASB (Sustainability Accounting Standards Board).
Nous reviendrons sur ces initiatives. Nombreuses, sans doute trop nombreuses. Outre les bonnes raisons d’exister de chacun de ces organismes, cette multiplication montre la complexité du sujet, les différentes approches possibles et par delà l’insatisfaction des investisseurs.
Matérialité. C'est le mot clef. Un sujet sur lequel nous reviendrons tant il donne lieu à des interprétations diverses et variées.
© Philippe Cornet. 30 avril 2015. Tous droits réservés. Toute reproduction intégrale ou partielle de cet article et des documents associés doit faire l'objet d'une autorisation préalable de l’auteur. Toute citation ou utilisation de données doit s'effectuer avec l'indication de la source.
Le guide "Disclosing your ESG footprint"